SOURCIERE

Autolouange

Marie Milis

Sourcière d'Autolouange

Placée de façon inattendue par la générosité de la vie auprès de jeunes rebelles, devenus a-scolaires du fait de parcours trop pénibles, j'ai réalisé la puissance de générosité et de beauté indemne en eux. Restait à la leur révéler, non pas en la leur montrant, ils sont devenus rétifs au regard de l'autre même bienveillant, mais en la leur faisant manifester, comme à leur insu.

J'avais l'intuition que là, dans cette dignité retrouvée et partagée se trouve le levier de leur réinsertion non plus seulement sociale mais aussi et peut-être surtout personnelle: devenir l'être de mes talents, actualiser mes potentiels, briller là où je suis et permettre ainsi aux autres de briller.

Telle est  l’origine de ma quête qui a largement dépassé son but ! Je voulais aider mes élèves, en difficulté sociale et scolaire, à retrouver la confiance en soi, sine qua non de leur capacité d’apprentissage. J'ai découvert une pratique pour tous qui actualise les trésors lovés en chacun et restaure la dignité.


Parmi les nombreux conférenciers que nous invitions, la rencontre avec Ngo Semzara Kabuta frappé par la foudre de l’autopanégyrique dans son village natal du Zaïre m'a mise sur la piste de l'autolouange.


Puis vinrent les recherches de genèse(s) et d’universalité auprès de Jérôme Rothenberg et de ses Techniciens du Sacré (1)  notamment. Avec lui je découvre que ces textes auroraux sont partout présents, à l'origine des premières traces écrites.


Mon parcours personnel est clairement marqué par mon attirance pour les lieux de bouillonnement de pensées novatrices. Très tôt l’école de Palo Alto imbiba ma pensée et ma détermination, bien avant que nous entrions dans ce que Michel Serres décrit comme un nouveau paradigme : l’aire inaugurée par l’arrivée d’internet. Quelle chance de vivre sur deux paradigmes : celui de la démocratisation par l’imprimé et celui de l’immédiateté du savoir et des relations ! Les théories de Carl Rogers, Paul Watzlawick, James Hillman, Ken Wilber, Joseph Campbell  et quelques autres donnent à l’élaboration de l’autolouange son cadre théorique.


Et au-delà de ce parcours : une esthétique et un mandat.  L’esthétique de la sobriété : la beauté est simple, comme « évidente ». Ce qui se conçoit bien s’énonce aisément,… Quoi de plus épuré que cette pratique qui tient en trois consignes dont la dernière est vite inutile : une parole en « je », amplifiée, et sans mensonge ?


C’est sans doute le mandat reçu de ma grand-mère décédée qui anime toute cette construction pour moi "tu auras les mots que j’ai tus". Et bien sûr l’amour cellulaire que je porte à la poésie vivante, celle où les mots vibrent de vie, aident à vivre. Je ne peux me résoudre à croire que seule une poignée de poètes suprêmes ont fait écho (Georges Steiner) à la puissance pressentie dans le rapport immédiat entre le mot et le monde. J’ai quitté le chemin de l’excellence élitiste pour descendre dans la parole primitive et l’ai trouvée en chacun. Notre bien le plus précieux n’est pas au bout d’une quête incessante du toujours plus exigeant mais lové en chacun de nous à nous attendre patiemment.


C’est en ce lieu intime où « je » se fait « nous » que s’écrit et se proclame l’autolouange. J’aime l’hyper unique, singulier, engagé, l’acte pictural sans pareil. Et j’ai consacré ma vie à produire l’étincelle de vie en tous et surtout parmi les plus démunis. J'ai découvert que là où une personne se dit dans sa singularité, non seulement elle rayonne mais naturellement ses mots appartiennent à tous ceux en qui ils résonnent. Le "je" du locuteur devient le "je" de l'auditeur.


Dans la magie de la rencontre, au-delà des biographies et de toutes les anecdotes qui constituent une vie, il y a fluidité entre l'un et l'autre, jusqu'à parfois ne plus savoir qui est l'un et qui est l'autre. Pas un flou indifférencié, une mixture de grande confusion. Non! Mais une acuité d'une telle précision, aux contours contrastés et aux  reliefs déterminés où l'un et l'autre, dans leurs singularités, se perçoivent en résonance. L'autolouange est une poétique pour les temps de mutation que nous vivons, une pratique de salubrité publique.


1 Jérôme Rothenberg, Les Techniciens du Sacré, Ed. José Corti, Paris

Marie Milis Sourcière